"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

dimanche 13 janvier 2013

Demande en mariage

Grâce à Dieu, qui a dû s'occuper de la question avec sa diligence coutumière, le mariage est le seul des sept sacrements de l’Église catholique à avoir été sécularisé. C'est un décret du 20 septembre 1792, visant à « détermine[r] le mode de constater l’état civil des citoyens », qui l'a institué dans le droit français. Cette pratique, avec des accommodements divers, a perduré, pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à nos jours, où il est question, dans un tout à fait respectable esprit d'égalité républicaine, d'en étendre les avantages, et peut-être même les inconvénients, à tous les couples possibles et imaginables.

L'opposition à ce projet de loi a rassemblé aujourd'hui plus d'un demi-million de manifestants - selon Le Figaro, et la plupart de ses confrères et sœurs de la presse -, réunis en trois cortèges convergeant vers le Champ de Mars, en chantant divers slogans inspirés du mot d'ordre universaliste adopté par les organisateurs :

Tous nés d'un homme et d'une femme. 

J'espère qu'on y aura également scandé la charmante petite comptine pour rondes de cour d'école maternelle, qui a ma préférence :

Un papa, 
                   une maman, 
                                            on ne ment pas aux 
                                                                                  zenfants.

                                                                                                                      (Youh...!)

Un rassemblement, nettement plus modeste, s'était tenu, il y a exactement un mois, place de la Bastille, pour appuyer le vote de cette loi du « mariage pour tous »...

On avait pu y croiser les membres d'un collectif qui, malgré une récente apparition dans 20minutes,  n'a peut-être pas encore fait dans les médias la percée qu'il mériterait - ne serait-ce qu'à cause de son nom ridicule de Collectif Oui oui oui.

Dans la présentation qui en a été faite, dans les Inrockuptibles, on apprend que ce collectif a été « créé par différents groupes, associations, organisatrices/teurs de soirées gouines, trans, pédés, hétéro-te-s et bi-e-s et simples citoyen-ne-s luttant pour une complète égalité des droits ».

Quant au triplement du « oui », il est motivé avec une belle éloquence communicante :

Contre l’immobilisme et la violence de l’ignorance de la France qui dit “non”, le collectif Oui oui oui oppose la répétition hypnotique d’un “oui” quasi orgasmique. Le but ? Reprendre la rue aux homophobes.

Avant d'être, dans sa « répétition hypnotique », une interjection « quasi orgasmique » assez convenue, le « oui » est un élément omniprésent du discours amoureux, et ce n'est certainement pas un hasard si l’Église, suivie de près par la République, en a fait le pivot sine qua non - justement - du mariage.

Interlude : 
Pour les frigides de tous sexes et des barjots en tous genres, 
ce coloriage d'un Oui-oui plutôt hétérosexuel.


Le plus beau « oui » de la littérature, qui est probablement aussi le plus célèbre,  a été écrit en anglais...

O that awfuI deepdown torrent O and the sea the sea crimson sometimes like fire and the glorious sunsets and the figtrees in the Alameda gardens yes and all the queer little streets and pink and blue and yellow houses and the rosegardens and the jessamine and geraniums and cactuses and Gibraltar as a girl where I was a Flower of the mountain yes when I put the rose in my hair like the Andalusian girls used or shall I wear a red yes and how he kissed me under the Moorish wall and I thought well as well him as another and then I asked him with my eyes to ask again yes and then he asked me would I yes to say yes my mountain flower and fust I put my arms around him yes and drew him down to me so he could feel my breasts all perfume yes and his heart was going like mad and yes I said yes I will Yes.

Ce « yes » a été traduit par Auguste Morel, assisté de Stuart Gilbert, et cette traduction a été entièrement revue par Valery Larbaud et l'auteur, James Joyce.

O cet effrayant torrent tout au fond O et la mer la mer écarlate quelquefois comme du feu et les glorieux couchers de soleil et les figuiers dans les jardins de l'Alameda et toutes les ruelles bizarres et les maisons roses et bleues et jaunes et les roseraies et les jasmins et les géraniums et les cactus de Gibraltar quand j'étais jeune fille et une Fleur de la montagne oui quand j'ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles Andalouses ou en mettrai-je une rouge oui et comme il m'a embrassée sous le mur mauresque je me suis dit après tout aussi bien lui qu'un autre et alors je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m'a demandé si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d'abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l'ai attiré sur moi pour qu'il sente mes seins tout parfumés oui et son cœur battait comme fou et oui j'ai dit oui je veux bien Oui.

Lors de ma première lecture d'Ulysse - c'était il y a une éternité -, j'avais lu bien rapidement, et bien mal, le monologue final de Molly Bloom, Pénélope mal mariée. Il faut croire que le contenu explicite, qui avait tant choqué les contemporains de Joyce, m'avait totalement échappé, puisqu'il m'a fallu une relecture, beaucoup plus tard - je ne lis pas Ulysse toutes les semaines -, pour m'apercevoir que ce merveilleux acquiescement de Molly ne faisait que répondre à une banale demande en mariage...

Mais les contresens s'incrustent dans la mémoire, et j'ai aimé sentir, parfois, bien loin de Gibraltar, que l'on me disait le « oui » que j'avais alors imaginé prononcé par Molly Bloom.

Et que ce « oui », simple, double ou triple, ait été ou non « quasi orgasmique » ne regarde pas grand monde...

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